1 Rois 19, 1-12
Pendant les vacances, mon épouse et moi nous sommes rendus aux Abeillères. Une maison de rencontre
et de resourcement axé sur la méditation, le repos, le silence, la
contemplation. Tout près de Saint-Jean-du-Gard, en Cevènnes. Trois fois par
jour les résidents avec les hôtes se rencontrent pour un temps de prière et
silence. La petite chapelle était
pleine. On était, il est vrai, aux portes du Rassemblement du Désert qui avait
lieu le lendemain à quelques kilomètres.
Au mois de
mai les catéchumènes de 2ème année ont un camp à Taizé. Un camp axé
sur la méditation, le silence, la découverte de l’intériorité. Une des
activités du camp est d’assister à l’office du vendredi soir, à Taizé, et à
celui de dimanche matin, avant le retour. L’esprit de Taizé donne une place
importante au silence. Dans les moments de prière, les chants et le silence se
suivent. Et au milieu de la célébration 10 minutes de silence. Parmi les
adolescents il y en a qui ont de la peine entrer dans cette démarche. Certains
se montrent inquiets. D’autres par contre n’arrivent pas à cacher leur
émotions.
Se taire,
rester immobile, contemplatif. Ce n’est pas dans nos habitudes. C’est même mal
vu. Il y a, il est vrai, le risque de
prendre la fuite. Se couper du monde, de passer à coté de la réalité. De ne
plus avoir les pieds sur terre. Et pourtant. Et pourtant. Il a été intéressant
cet été d’apprendre que en Espagne les lieux de spiritualité, les monastères
qui offrent la possibilité de passer quelques jours de retraite sont de plus en
plus sollicités et doivent souvent afficher le panneau « complet ».
Un phénomène significatif pour un pays en crise.
De même,
cette semaine nous avons appris qu’une paroisse Allemande a eu l’initiative de
construire une chapelle dans une aire de repos d’une autoroute et oh
surprise ! Ils sont nombreux ceux qui s’arrêtent pour prier.
On le sait.
Nous sommes dans un monde qui est en plein changement. Les spécialistes,
sociologues, philosophes, psychiatres, théologiens sont d’accord pour dire que
la crise de notre monde n’est plus seulement économique mais aussi spirituelle,
morale, et je dirais même anthropologique. Le monde ne sait plus comment penser
l’homme, comment le comprendre par rapport au monde, à la vie, à son devenir,
aux évènements, à la souffrance, à la mort. L’homme ne sait plus comment se
comprendre se penser, par rapport à son être.
L’insécurité
extérieure, économique et matérielle est révélatrice d’une toute autre
insécurité qui se manifeste à l’intérieur de la personne. Tout d’un coup on se
rend compte que le trop plein matériel et économique, parfois ne fait que
cacher un vide intérieur. Le trop plein
matériel nous coupe de nos assises spirituelles.
Nous sommes
dans la civilisation de l’image et du son. La musique en boite, enregistrée
remplit nos temps de silence. La musique fait partie de la culture depuis
toujours. Elle existe depuis que l’homme a commencé à écouter la nature, la
terre, et a essayer de reproduire et s’inspirer de ses sons pour exprimer son
intérieur et donner libre cours à sa pensée, ses sentiments, à son affectivité,
à ses rêves, et à ses craintes.
Notre
civilisation, et encore plus nos jeunes et nos enfants, est entourée de sons,
de bruits, de paroles, de messages. Nos jeunes risquent de ne pas savoir ce que
c’est d’être en silence. De contempler tout simplement, un paysage, une fleur,
les branches d’un arbre, un brin d’herbe ou un oiseau.
Nous sommes
des êtres, -permettez moi ce mot- « abruités ». Habités par le bruit,
par plein de sons qui rendent difficile le rapport à l’Esprit de Dieu qui nous
parle dans le silence.
Une avocate
canadienne en ce moment enseignante à Barcelone, Catherine Lecuyer, a écrit un livre : «Eduquer
par l’émerveillement ». Elle dit que de nos jours l’enfant est
sur-stimulé. Et que cela entraine pour certains des problèmes d’apprentissage. L’enfant est
saturé d’images. De séries de TV, jeux électroniques, et lorsque les
enfants doivent faire face au rythme de la vie réelle ils deviennent
impatients, tout les ennuie. Il faut récupérer le silence.
L’apprentissage dont l’enfant est capable passe par l’observation et la
découverte, à son propre rythme. Nous avons beaucoup d’information et nous
apprenons chaque fois moins. Trop d’information entraine un appauvrissement de
l’attention.
Nous avons
lu encore ce passage du livre des Rois qui nous parle de la fuite d’Elie. Le
prophète indigné, impulsif, plein de zèle. Après que Dieu se soit manifesté par
un feu qui consomme les sacrifices offerts à Baal. I a fait passer par l’épée
les prophètes de Baal, par un véritable coup de force. Probablement, encore une
fois, imbu d’un pouvoir qui ne lui appartient pas.
Elie doit
s’enfuir, et nous le voyons une fois de plus entrer dans un chemin où il doit
se dessaisir de cette force. Il fera face à sa fragilité, à la faiblesse de son
corps, sera appelé à se nourrir convenablement. Il doit manger deux fois. Il
ira au désert. Lieu symbolique de la rencontré avec Dieu. Lieu où l’homme fait
face au vide, au silence. Et là au désert, il sera conduit dans une sorte de
déconstruction de lui même. Lui, qui vient de faire un tour de force est ramené
à sa fragilité qui se manifeste dans son intimité. Et là il doit se taire et
laisser passer les bruits. Ces bruits qui parlent de tant de traces que les événements
de la vie peuvent laisser en nous, des traces douloureuses certaines, celles de
nos mises à l’épreuve, lorsque nous pouvons passer par des changements
importants, lorsque nous nous sentons déboussolés, celles des luttes intenses.
Et nous devons laisser passer les bruits de ces traces, faire silence, nous
mettre à l’écoute. Ces bruits Élie va les écouter à l’extérieur de la grotte, c'est-à-dire
il devra faire un pas en avant pour quitter le puits profond dans le quel il se
trouve. Et Dieu n’est pas dans le tonnerre, ni dans le vent violent, ni dans le
feu, ni dans le tremblement de terre. Mais dans un bruissement d’un souffle
ténu. Dans le bruit d’un fin silence.
Dans le
calme et la confiance, -dit le prophète Esaïe- sera ta force. Lytta Basset nous
rappelle dans ses livres l’importance de savoir être à l’écoute du Souffle.
Pour elle il s’agit de l’Esprit de Dieu. C’est une femme qui a passé par des
événements douloureux, elle a passé dans sa vie aussi par une sorte de
déconstruction pour découvrir dans la spiritualité, dans l’écoute de ce souffle
de Dieu, la source de renouvellement pour sa vie.
Le
professeur et pasteur Daniel Bourguet, devenu
ermite, fondateur des Abeillères, dit dans son livre « Le silence de Dieu
pendant la Passion » que le silence de Dieu dans les récits de la passion,
pour certains est choquant. Et il dit que pour lui ce silence est fait d’un
amour qui va au-delà de tout ce que les mots humains peuvent dire. Dans la vie il peut nous arriver de penser que
Dieu se tait. Alors qu’il nous rejoint dans nos souffrances parfois indicibles,
inexprimables.
Nous le
savons, parfois, face à la souffrance nous ne pouvons que nous taire. Dieu
aussi, il ne veut pas nous accabler de sermons. Il est là par le mystère de son
amour silencieux par lequel il nous soutient et nous porte. Et si cet amour est
bien au-delà des mots, nous devons apprendre et réapprendre le silence pour
nous ouvrir à LUI, en Christ, et ressurgir à la vie.